Le roman et la vie : quand la fiction romanesque rejoint la biographie
AU PALAIS DES CONGRES DE COTONOU, ce, jeudi 24 novembre 2022, le sous-thème : « Le roman et la vie : quand la fiction romanesque rejoint la biographie » a été débattu par deux têtes d’affiche Ken Bugul (Sénégal), Sophie Adonon (Bénin-France) et l’auteure et Prix des Editeurs 2021, Béatrice Lalinon Gbado. L'Association des Professeurs de Français du Bénin (APFB), partenaire du Salon en tant que prescriptrice a suivi le débat.
Les intervenantes, tout en manifestant leur enthousiasme pour le thème du Salon (« Femme et engagement dans la création littéraire en Afrique francophone »), ont remercié toute l’organisation, notamment le conseiller technique Florent Couao-Zotti, le Directeur des Arts et du Livre Blaise Tchétchao et le Directeur de la Bibliothèque nationale du Bénin Koffi Attédé, et à travers eux, le Président de la République et le Ministre de la Culture.
Prévue pour durer deux heures, cette conférence débat a tant séduit le public véritablement participatif – dont on oblitérera les apports pour insister sur l’essentiel des trois auteures invitées – qu’elle a débordé d’une trentaine de minutes.
L’EGOTISME OU LA QUETE DE LA LIBERTE (KEN BUGUL)
Ken Bugul, « Personne n’en veut », est un pseudonyme de Mariétou Mbaye Biléoma née en 1947. Cette appellation rejoint d’autres qui signifient « Sans espoir », « Tas d’ordure », « Vieux chiffon », noms prophylactiques voire exorcistes donnés aux enfants nés après plusieurs décès, reconnus au Bénin et au Nigeria sous le couvert d’Abiku. Ce nom justifie l’urgence et la nécessité de son écriture qui dévoile la déstabilisation, la précarité, le rejet familial, social, la folie vécus (au propre) par l’auteure. Entre 33 et 34 ans, se retrouver dans la rue (au Sénégal), chercher l’écoute pour sortir de la situation devient une question de vie ou de mort pour évacuer ce surplus de vécus qui étouffait : Le baobab fou. Du Baobab fou à Riwan ou le chemin de sable, en passant par Cendres et braises, il y a un accent sur le je, une sorte d’égotisme qui procède d’une trilogie de thérapie, car aliénée par son enfance bouleversante. La famille, en Afrique, avait la capacité de récupérer, de rééquilibrer l’individu perdu. Aujourd’hui, il y a tellement d’inégalités créant des névroses que l’Afrique mérite une thérapie. Lire Ken Bugul dans ses trois premiers romans, c’est s’immerger dans une autofiction, un autodiscours, une prise de conscience, une fiction de soi sur soi pour recoller les morceaux de dispersion, de l’altérité, de l’aliénation. Et, soignée, soulagée, apaisée, guérie, réconciliée avec les valeurs africaines dans une démarche de compréhension, Ken Bugul, tout comme le lecteur, se vêt d’une empathie pour l’Afrique. De l’autre côté du regard, sans être une véritable autofiction au même titre que la trilogie, s’inscrit dans cette démarche de réconciliation où l’auteure, vers l’excipit, s’est faite mère pour allaiter sa mère !
S’intéressant aux thèmes éternels de la femme, la romancière s’annonce progressiste. Le temps évoluant avec le christianisme, l’islamisme et le (néo)colonialisme, il est ardu de considérer la polygamie avec un œil toujours prestigieux, même si des hommes polygames obéissent aux lois des 3 V (Villa, Voiture, Visa). La solution, selon l’auteure, est d’éduquer les filles à faire des choix, à avoir une indépendance économique et mentale. La biographie de la fonctionnaire internationale en apporte la preuve. En se mariant autour de 40 ans avec un gynécologue béninois, elle a consenti à une union choisie par ses propres soins et accouche d’une fille aujourd’hui âgée de 35 ans… Pour le viol, le Sénégal a connu une recrudescence qui tend vers le féminicide. En jouissant du droit de disposer de son corps, il faut maitriser son être et éviter les provocations vestimentaires. Pour l’IVG, l’autorisation est, au Sénégal, évidente quand la vie de la femme ou de son enfant est en danger. Par ailleurs, le droit de la femme à disposer de son corps inclut l’entretien du corps sans verser dans la provocation, dans la nudité comme les images agressives des clips de certains rappeurs ou des vidéos pornographiques. Il faudra de la vigilance aux pouvoirs publics dans la maitrise des médias. La question de l’homosexualité, très complexe, interpelle plus d’un, car non seulement elle a toujours existé mais aussi parfois même les hommes mariés, les hommes politiques sont bien impliqués. Elle soulève, en dehors de l’adoption, les questions de mère porteuse, d’insémination. L’auteure du Trio bleu revient sur la politique en soutenant la position de Gbado qui explique la domination du monde par la phallocratie. Elle rappelle l’échec de Maitre Gbèdo abandonnée par la majorité des femmes béninoises.
En conclusion, pour elle, il faudra remodeler la femme pour un monde meilleur.
ECRIRE SANS AUTOFICTION (SOPHIE ADONON)
Sophie Adonon, née en 1964, rappelle la genèse de Pour une poignée de gombo (écrit en 1992 et édité en 2013), ouvrage inscrit au programme scolaire en classe de seconde et revient sur sa série policière. En nuançant la différence entre la biographie fictionnelle et la fiction biographique, Adonon, chérie par son père décédé en 1986, n’a pas senti le besoin d’écrire de l’autofiction. « Je n’ai jamais osé écrire une autobiographie ni une biographie. Je l’évite. » Dans cette première intervention et en prenant appui sur Le sourire macabre, elle fait ressortir les folies que l’amour fait faire.
Soulignant l’amour qui anima ses parents, elle rappelle comment sa prévenante mère, exemplaire, traditionaliste et courageuse est le symbole de la femme africaine remplie de sagesse et gardienne du temple.
Abordant certaines questions graves comme la régulation de cycle, le viol, la polygamie et autres, Adonon condamne l’avortement tout en rappelant les circonstances dans lesquelles il peut être toléré. En illustrant l’inceste d’un père ayant violé et enceinté sa fille, des souvenirs douloureux ont activé son appareil lacrymal. Le viol, dans un ménage régulier, est évoqué et elle en a profité pour montrer que si l’envie de faire l’amour chez la femme est psychologique, chez l’homme, elle est physique ! On comprend qu’elle soit catégoriquement défavorable à la polygamie, quoique son père ait plus d’une femme. Le sujet de l’infidélité est tragique, explore-t-elle car des crimes en découlent. L’idéal, en cas d’adultère, est de tenir informé (e) le (la) partenaire pour le surmonter ensemble…
Du côté de la gestion politique, Adonon rêve d’une femme présidente, aussi bien pour la France que pour le Bénin. L’homosexualité ne devrait pas poser un problème tant qu’elle se déploie dans la chambre privée des amoureux…
L’EDUCATION POUR TOUS ET PAR LES LETTRES (BEATRICE LALINON GBADO)
Reprenant « l’urgence d’écrire » développée par Ken Bugul, Gbado (née en 1962) signale un drame tragique qui l’a contrainte à se confier au papier, en 1982, (année de parution du Baobab fou !) donnant naissance à l’ouvrage Le destin. Habituée à l’école de nuit où les contes se délectaient, elle a voulu immortaliser ces séances, en restituant des valeurs humaines dissimulées dans les genres oraux. Mais s’il faut donner à lire de l’autobiographie, elle se reconnaît dans des poèmes dédiés à ses parents Maman vendus à plus de 10.000 exemplaires et Je t’aime papa pour réparer le tort fait souvent aux pères plongés généralement dans l’oubli !
De l’urgence d’écrire, elle passe à l’urgence de partager, en multipliant les romans de jeunesse comme La gifle : Béatrice Lalinon Gbado montre que dans la fiction, il est des personnages qui lui échappent car l’écriture trace parfois des courbes imposées par la psychologie des actants.
Pour elle, les problèmes que rencontrent les femmes relèvent de leur conscience et du développement personnel. Le conformisme et les effets de mode entravent la volonté et la liberté. La planification familiale qui pourrait occasionner des avortements doit être nuancée. Le viol dans les ménages existe et doit être combattu comme le souligne Adonon et Ken Bugul. Le droit de disposer de son corps doit éviter le dégoût de soi : il s’agit d’éviter de faire des choix malheureux et irréversibles, de regretter un choix opéré dans le passé. L’acte d’écriture conduit vers le développement personnel chez l’auteur et chez le lecteur : l’écrivain mûrit et sa plume aussi… La politique, une question d’autodétermination, est praticable à tous les niveaux. Le véritable pouvoir est à la femme mais sous le conditionnement du patriarcat, elle n’en a toujours pas conscience et se laisse réifiée. La vérité reste que l’éducation de la fille montre qu’elle est capable, autant que le garçon, d’occuper les meilleures places dans les institutions scolaires et dans la vie. En politique, elle peut, donc, bel et bien, s’installer partout où l’homme va et non rester dans son ombre si elle cesse d’exiger que c’est à l’homme de la prendre en charge. Pour Gbado, en ce qui concerne l’homosexualité, chacun peut faire ses choix. Ce qui lui paraît incompréhensible concerne les questions d’adoption et autres.
En résumé, les trois auteures exhortent les femmes à mieux s’affirmer et s’impliquer en optant pour des choix responsables, que ce soit dans les sphères privées ou publiques. Dans cette perspective, elles montrent que l’écriture dans ces différentes formes d’expression constitue une véritable arme de libération pour les femmes et les hommes, pour ériger un monde harmonieux, égalitaire, respectueux de la personne humaine. Il est souhaitable que le salon réitère régulièrement ce genre de débat qui place les questions génériques au centre des efforts pour le développement du Bénin et l’Afrique.
Daté Atavito Barnabé-Akayi,
Le modérateur.