LE TOUR DE LA ROUMANIE (ou presque) EN 14 JOURS.
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MISSION DE L'ASSOCIATION BELGE DES PROFESSEURS DE FRANÇAIS
CHEZ SES HOMOLOGUES ROUMAINS DE L'ARPF
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Pour répondre à certaines questions légitimes
Les gens qui s'intéressent à l'usage des deniers publics et à la vie de nos institutions sont en droit de se demander en quoi consiste une mission officielle en Roumanie pour le compte de Wallonie-Bruxelles international. Afin de donner une réponse assez complète, je prendrai l'exemple du voyage que j'ai effectué au printemps dernier, du 4 au 17 mai 2011.
Je commencerai par donner le programme afin de ne pas rester dans le vague. De cette façon le lecteur aura d'emblée un résumé du nombre et du type d'activités qui ont eu lieu. Je ne détaillerai pas chaque évènement en particulier, même si tous le mériteraient et si chaque collègue qui m'a accueilli serait en droit d'espérer voir sa contribution reprise ici.
Après ça, je prendrai un exemple de chaque sorte d'activité qui aura été développée au cours de mon voyage et je l'exposerai plus en profondeur.
Pour terminer, il sera peut-être intéressant de connaitre le point de vue, parfois très subjectif, du chargé de mission passant très vite, et en quelques jours, à travers un si grand nombre d'évènements petits et grands.
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Le programme
Premier jour
Rencontre à l'aéroport de Bucarest avec madame Cristina Grigore, présidente de l'ARPF, qui me fournit diverses informations pratiques pour mon voyage. Départ pour Sibiu à 21h30.
Deuxième jour
Sibiu. Entrevue avec le professeur Ardeleanu, au département d'Études françaises et francophones de l'université Lucian Blaga. L'après-midi, exposé sur la diversité linguistique en francophonie devant les étudiants du lecteur de français, Sylvain Audet.
Troisième jour
Départ pour Bucarest, en train.
Quatrième et cinquième jours
Bucarest. Rencontres avec l'ARPF.
Sixième jour
Départ en train pour Focsani (département de Vrancea). Accueil par madame Alina Dima, professeur de français. Programme d'activités mis au point par madame Svetlana Baciu, inspectrice de français et de langues romanes.
Septième jour
Le matin : conférence pour les professeurs du département de Vrancea sur les relations associatives arpf-abpf et sur le français en Belgique.
L'après-midi, visite d'une « école rurale », dans le village de Valea Sarii.
Huitième jour
Transfert en voiture à Buzau. Programme organisé par l'inspectrice de français, madame Monalisa Plesea. Participation au colloque sur la diversité linguistique au collège national Mihail Eminescu.
Conférence pour les professeurs du département de Buzau (voir 7e jour). Visite de l'école N° 11 (primaire et secondaire inférieur). Marathon de la lecture, par les élèves. Soirée de chanson française et de théâtre par des lycéens.
Neuvième jour
Visites d'écoles dans la région. Le lycée de Berca et le lycée de Râmnicu Sarat, deuxième ville du département. Retour à Buzau. Passage dans deux écoles et visite du lycée d'art de la ville.
Dixième jour
Départ en train, tôt le matin, pour Baia Mare (préfecture du Maramures).
Arrivée vers 21h00.
Onzième et douzième jours
Baia Mare. Participation aux Journées de réflexion pédagogique dans le cadre de la réunion nationale de l'ARPF organisées par madame Maria Pasca, professeur et responsable locale de l'ARPF. Conférence pour les professeurs.
Assistance au Concours national de chanson francophone « Chants sons sur scène », sous l'égide du professeur Nic Weisz, de l'ARPF et du Centre culturel français de Cluj.
Treizième jour
Retour à Bucarest, en train. Arrivée vers 21h00. Accueil par la présidente de l'ARPF.
Quatorzième et dernier jour
Rendez-vous à la Délégation Wallonie-Bruxelles. Entrevue avec la déléguée, madame Fabienne Reuter.
14h30 : enregistrement à l'aéroport.
18h00 : arrivée à Bruxelles.
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En quoi tout cela consiste-t-il ?
Comme on a pu le voir dans le programme ci-dessus, quatre types d'activités au moins sont développés dans ce genre de voyage :
Avec les professeurs
Des ateliers ou des conférences par lesquels il m'arrive de rappeler à mes collègues roumains professeurs de FLE que le français est une véritable « langue vivante » qui se transforme et connait donc des nouveautés, par exemple l' orthographe dont les règles traditionnelles et la didactique sont en pleine évolution. Ce domaine particulier me tient fort à cœur depuis la publication de la réforme de 1990 et je ne manque jamais d'en faire état aux professeurs et aux élèves roumains aussitôt qu'une occasion se présente. Cependant, au cours de la mission dont je parle, c'est un autre thème que j'ai abordé : celui de la diversité du français à travers la francophonie, avec ses variétés suisse, canadienne et belge, et par rapport à la norme franco-française. Cela dans la perspective de la méthodologie du FLE : quelle variété de français enseigner si l'on est professeur à l'étranger ? le français de France, de Paris ? celui de Bruxelles, siège des principales institutions européennes ? celui du Québec, parce qu'il représente l'Amérique du Nord ?
Ce genre de discussion a pour avantage premier d'ouvrir l'enseignement du français sur une langue plus vivante et surtout plus usuelle. Grâce à nos relations associatives déjà anciennes (près de vingt ans), les professeurs roumains font l'expérience d'une francophonie élargie et différente : ils apprennent à connaitre une autre société de langue française, Bruxelles et la Wallonie, avec sa culture et ses écrivains. Autrefois, pour les Roumains, la francophonie s'arrêtait à la seule culture française de l'Hexagone. Cette vision plus large et encore plus riche ne peut que renforcer l'intérêt qu'il y a à parler le français.
Avec les élèves
Je suis généralement convié à des rencontres avec des élèves et leurs professeurs de français. Il s'agit de petits évènements qu'ils ont soigneusement préparés en classe. Les élèves me posent des questions auxquelles je réponds, l''objectif étant d'en venir à un petit dialogue où les élèves mobiliseront plus ou moins spontanément leurs compétences langagières. C'est aussi l'occasion de leur faire entendre de vive voix un francophone natif.
Dans d'autres cas, les professeurs de français, quelquefois avec la complicité d'un collègue de musique, ont travaillé avec leurs élèves beaucoup plus dans la durée en organisant tout un spectacle pour ma venue : chansons, saynètes théâtrales, jeux de rôles, etc.
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La vie associative
Les relations entre l'ARPF et l'ABPF sont le fruit d'accords entre les gouvernements de la Roumanie et de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Les missions ont pour but principal d'aller représenter une association auprès de l'autre pour participer à des congrès, des colloques, des journées de réflexion, des formations, ou pour réaliser des échanges qui permettent de mieux se connaitre entre collègues, comparer des expériences professionnelles ou profiter de certaines compétences du partenaire comme, par exemple, l'expertise de nos collègues roumains en didactique du français langue étrangère, des méthodes de plus en plus utiles aux enseignants belges confrontés à toujours plus d' élèves allophones.
Quant aux collègues roumains, leur intérêt est d'avoir la perception réelle, vécue, et pas seulement théorique, de la francophonie au sens vrai. Ces missions favorisent des contacts personnels et humains : on est reçu chez des gens, on apprend à connaitre des familles, des liens plus familiers peuvent s'établir. Tout cela contribue à la disparition d'idées reçues ou de stéréotypes négatifs. Au cours de moments de temps libre, quelquefois vos hôtes désirent vous montrer des points intéressants de leur région, une excursion s'organise. C'est ainsi qu'au mois de mai j'ai eu la chance de découvrir les vignobles et les paysages des montagnes de Vrancea, un monastère très ancien et les « volcans boueux » de la région de Buzau.
Parmi les autres éléments qui animent notre vie associative, je m'en voudrais d'omettre « Belgique romane », un concours annuel destiné aux élèves et aux lycéens pour leur permettre de mettre en pratique leurs connaissances de français et leur créativité. La dernière édition, 2010-2011 - Imaginez un fait divers dans un journal imaginaire - a connu un succès sans précédent. Faute de moyens, les prix décernés aux lauréats sont peu importants, mais le diplôme qu'ils reçoivent et qui sera affiché dans leur école, reste symboliquement très motivant.
Des évènements annexes
Les visites du chargé de mission sont aussi, pour la partie roumaine, l'occasion de donner plus d'éclat à des évènements francophones qui seront ainsi mieux mis en évidence, à l'échelle locale, si les responsables peuvent citer la présence d'un visiteur étranger. Par exemple, cette fois-ci, je me suis trouvé à Baia Mare pour assister aux Journées de réflexion pédagogique de l'ARPF, en même temps qu'avait lieu le Concours national de chanson francophone. Nic Weisz, professeur de français, a créé dans sa ville, il y a dix ans, un authentique festival annuel de la chanson, presque à l'instar des « francofolies», mais pour de jeunes amateurs, sélectionnés à travers tout le pays par leurs profs de musique et de français. L'évènement, très célèbre en Roumanie et même envié quelquefois, avait pris une allure internationale avec des invités de Serbie, de Croatie, et jusqu'à un groupe de jeunes rockers venus de Paris qui a fait une bonne partie de ses prestations en anglais. Là, je me suis tout de même posé des questions !
C'est toujours dans le même ordre d'idée que j'ai participé à l'inauguration très officielle du nouveau laboratoire de langue dont venait de se doter le lycée d'une grande ville du département de Buzau. Je ne pense pas que c'était dû au hasard, il est en effet plus probable que les organisateurs avaient fait en sorte de synchroniser cet évènement avec ma venue dans leur ville.
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Un emploi du temps très riche
Le lecteur aura constaté que l'addition de toutes ces activités finit par donner un programme bien chargé : au mois de mai dernier, je suis allé dans six villes différentes en deux semaines et j'ai traversé deux fois toute la Roumanie d'un bout à l'autre.
Chaque personne qui m'accueille s'efforce de concevoir un programme original avec le maximum de possibilités pédagogiques et culturelles, des déplacements, la partie que j'appellerai récréative et toutes les invitations en soirée qui sont autant d'occasions de se voir de manière plus détendue hors du cadre officiel, avec quelques collègues de l'endroit. Bien entendu, les hôtes roumains se renouvèlent tous les deux ou trois jours, alors que le visiteur est, lui, toujours le même partout, ce qui génère à la longue des journées si remplies que l'organisme à peine à suivre ! Pour ne pas abuser, je ne vous raconterai pas un agréable dimanche de repos dans la banlieue champêtre de Bucarest, au bord du lac de Snagov, chez madame Vintiloiu, une amie, je vous ferai plutôt le compte rendu d'une journée où ma résistance à la fatigue fut particulièrement mise à l'épreuve.
Le lendemain de mon arrivée à Buzau, après une nuit assez courte, il n'était pas question de grasse matinée. Comme la Casa corpului didactic, où j'étais logé - sorte de gite pour enseignants en déplacement professionnel - ne fournissait pas de petit-déjeuner, on m'a directement conduit en voiture dans une localité située à une vingtaine de kilomètres où le directeur du lycée et une professeur de français m'attendaient avec tout ce qu'il fallait. Après le café et les petits pains, on m'a fait faire le « tour du propriétaire » : irruption dans les salles de classe pour voir les profs en activité et les élèves au travail. La bibliothèque, le labo d'informatique, le réfectoire et, bien entendu, les traditionnelles photos de groupe. Après le lycée de Berca, le chauffeur m'a proposé d'aller un peu plus loin pour me montrer les « volcans de boue » de Pâclele Mari. C'est une véritable curiosité naturelle : brusquement la végétation s'arrête et, devant vous, s'élève une pente douce au sol argileux, grisâtre et craquelé, percé çà et là de petits entonnoirs où viennent crever bruyamment de grosses bulles gazeuses. On ne s'attardera guère, déjà la matinée est près de se terminer, et nous repartons pour Râmnicu Sarat, deuxième ville du département. Accueil en grande pompe à l'entrée du lycée principal où deux jeunes gens offrent le pain et le sel, dans la plus pure tradition orthodoxe, aux hôtes de marque, dont l'adjoint au maire et une déléguée de l'Institut Cervantes venue exprès de Bucarest. On nous attendait pour un évènement d'importance : l'inauguration du laboratoire de langue, que les Roumains appellent « le laboratoire phonique ». Salve de discours officiels suivis d'exposés sur l'utilité de connaitre plusieurs langues étrangères à notre époque, en Europe. Le plurilinguisme, notre spécificité, est aussi un gage de survie pour des langues de moindre importance. Après cela, place aux élèves qui avaient préparé un beau montage de poèmes de Jacques Prévert ainsi qu'un récital de chansons. Le jeune homme qui a interprété la Bohème, d'Aznavour, possède un réel talent. Le directeur nous fait ensuite les honneurs de son établissement avant de nous convier à une copieuse collation de spécialités du cru. Je ne me fais pas prier, tout est délicieux. Nouvelle photo de groupe sur le seuil du lycée, et retour à Buzau ... dans une autre école secondaire ... pour un déjeuner en bonne et due forme ! Ce que l'on m'avait servi avant n'était qu'un minable en-cas. Ce déjeuner est offert par une collègue de français qui vient de passer avec brio sa défense publique de mémoire. Au nombre des convives se trouvent quelques célèbres professeurs de linguistique de l'université de Bucarest venus en tant que jury scientifique. Le repas terminé, on m'emmène sans tarder dans un autre quartier de la ville où se trouve le lycée d'art de Buzau. Le français n'y est évidemment pas la branche la plus importante, toutefois, la directrice m'attend accompagnée d'une professeur affiliée à l'ARPF qui m'apprend qu'elle sera en Belgique au mois d'aout. Mirabela a en effet obtenu une bourse pour suivre les cours du stage d'été de FLE à l'université de Liège. Je vais rarement dans des écoles de beaux arts, cette visite m'intéresse donc beaucoup. On me permet de jeter un coup d'œil à des cours individuels de violon, à une répétition de théâtre, je vois les ateliers de peinture, de modelage, etc. Des professeurs spécialisés se joignent à nous, prennent des photos, et se révèlent presque tous francophones. La visite s'achève. L'inspectrice de français arrive et nous partons faire un tour au parc municipal qu'il ne faut surtout pas manquer ! Ce vaste espace vert est réellement très beau, bien aménagé et équipé de toutes sortes de jeux pour petits et grands. Au milieu d'une pièce d'eau, un restaurant nous offre sa terrasse. Le soleil se couche. Il fait encore très doux, les grenouilles chantent sur la rive. Nous dégustons des saucisses sèches avec de la moutarde. L'heure tourne et je commence à ressentir la fatigue. Demain matin mon réveil sonnera à trois heures. Un taxi est prévu à 4h00 pour me conduire à la gare où je prendrai le train de Baia Mare, prochaine étape de ma mission. Un voyage de seize heures.
Levé à trois heures, je me suis douché et, probablement encore à moitié endormi, j'ai glissé sur le carrelage et me suis violemment cogné le front contre le bord des toilettes. J'ai passé la fin de mon séjour avec un superbe œil au beurre noir, un cocard qui éveillait régulièrement la curiosité de mes interlocuteurs : avec qui m'étais-je battu ?
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Ce petit incident n'était rien comparé au plaisir que j'éprouve à retourner dans ce pays. Je connais la Roumanie depuis plus de trente ans, je m'y étais déjà rendu à titre personnel sous l'ancien régime. A cette époque, dans les années soixante, soixante-dix, le français était infiniment plus répandu que maintenant, c'était la langue de communication avec les touristes occidentaux, car la dictature communiste se méfiait de ceux qui savaient l'anglais. Aujourd'hui, l'anglais y joue le rôle de lingua franca, comme dans n'importe quel autre pays. Cela ne signifie pas que les Roumains aient renoncé au français. Loin de là. Je le constate lors de chaque nouveau séjour. Notre erreur c'est de penser que la Roumanie d'aujourd'hui est toujours restée la petite France des Carpates du 19e siècle, ce pays où l'élite intellectuelle et l'aristocratie ne s'exprimaient qu'en français. Ceci dit, le français y occupe fièrement la deuxième position, loin devant les autres langues. Au pays d'Ionesco et de Cioran, la tradition française est si bien enracinée, les références à la France, à la culture et la civilisation françaises y sont tellement nombreuses, et les deux langues si proches, que la connaissance du français vient même quelquefois tout naturellement, presque spontanément.
J'ai consacré toute ma carrière professionnelle à la langue française, à son enseignement et à sa diffusion, je continue à le faire grâce à la vie associative. Le faire pour la jeunesse roumaine et travailler avec mes collègues de Roumanie, je le répète, c'est un plaisir, le plaisir de sentir que l'on est attendu et que l'on sert vraiment à quelque chose.
Enfin, il y a l'hospitalité des Roumains, que je ne qualifierai pas seulement chaleureuse, ce qui serait presque banal, mais de somptueuse. Et quel bonheur quand ils vous disent, au moment de se quitter : - Va asteptam ! Nous vous attendons !
Robert MASSART
Chargé des Relations avec l'ARPF pour l'ABPF.
Trésorier de la CFLM.
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L'orthographe française a subi quelques retouches ! Les nouvelles règles ne sont pas obligatoires, mais recommandées. Je les applique, et vous ?
www.orthographe-recommandee.info
(1) Contrairement à l'association belge, l'ABPF, dont le fonctionnement est centralisé, l'association roumaine a opté, dès sa création en 1990, pour un système décentralisé : le pays, quatorze fois plus étendu que la Fédération Wallonie-Bruxelles, compte une quarantaine de départements. Les professeurs de français de chacun de ceux-ci peuvent rallier l'ARPF en se constituant en filiale régionale de l'association avec, à sa tête, un secrétaire et un trésorier élus par les affiliés.